Kaleïdoscope

Le temps de la journée se prêtait bien aux affaires de Lei-Chang, le patron exécrable de Huae, il avait fait beau tout l’après-midi, et le vent en plus d’avoir chassé les nuages de fumée toxique qui régnaient dans la haute atmosphère, apportait une brise fraîche qui s’engouffrent entre les barres d’immeubles de la capitale Taïwanaise, c’était un temps pour sortir, flâner, prendre un verre en terrasse, arpenter les rues en se laissant guider par ses envies… Pour l’occasion, le cabaret avait même dressé des tables en extérieur, ou la clientèle s'amasse au grand plaisir du patron. Huae, quand a elle n’avait pas beaucoup profité de son après-midi, après avoir joué toute la matinée, et s’être couchée vers 13h, elle l’avait passée à dormir, paupières fermées, et la bouche entrouverte émettant un souffle régulier, sans même s’inquiéter une seconde du temps qu’il pouvait bien faire dehors. Sur le chemin du cabaret, elle avait pourtant bien passé un peu de temps à la fenêtre du musée d’Histoire Naturelle, à profiter des rayons de soleil qui filtraient au travers de notre planète malade en rêvassant, l’esprit embué d’images du jeu et de rêves enfantins sur l’avenir de la jeune femme. Lin-Huae avait également contemplé la foule de gens qui arpentaient la rue en contrebas des immeubles, de son poste elle pouvait voir sans être vue, et ça ça lui plaisait beaucoup. Mais l’horloge avait tournée, et il avait fallu rejoindre le lieu de travail.


SAPHYR contemple la clientèle amassée dans le troquet, appelée par les boissons fraîches et par la promesse d’une bonne ambiance. Les éclairages LED changeants, faisaient passer une personne à l’autre de la pénombre, au feux des lumières en une fraction de seconde, des discussions et le bruit de ses collègues qui s’affairent auprès du comptoir permettent de combler les silences quand une chanson vient de se terminer. Mais, il y a toujours une personne qui remarque la fin de la chanson et se met à applaudir, suivit ensuite par des dizaines de mains se tapant l’une contre l’autre, parfois raisonnant d’un fracas métallique ou d’un bruit plastique issu de prothèses ou de mains robotiques, et cette fois-ci, SAPHYR profite de ce moment pour faire un révérence impérieuse. “C’est le moment de faire une petite pause, pour que votre chanteuse puisse à son tour se rincer le gosier ! On se retrouve d’ici un quart d’heure ?!” lance alors la jeune femme qui se prend pour une starlette. Sa déclaration est suivie d’applaudissements et de quelques coups de sifflet, puis l’ordinateur lança une playlist pour laisser un fond sonore durant l’entracte. SAPHYR dépose doucement sa guitare sur le sol, et se dirige vers le comptoir, pour y saisir son habituel verre d’eau. “Vas-y, tu ne peux me rajouter un peu de sirop de menthe et un peu de gin cette fois ci ?”
“Tu sais très bien que je peux pas te servir de conso en scred Reena.”
“T’inquiètes ! T’inquiètes, cette fois si je payes vraiment ma conso. J’déconne pas, vas-y sers moi c’que je dis. J’ai besoin de me détendre un peu stp.”
“Ok j’arrive. J’te fais ça.”


Le jeune homme se retourne en direction de ses étagères remplies de bouteilles en tout genre éclairées par des LED à changement de couleur délicat qui passent le cercle chromatique renforçant l’étrange diversité des bouteilles et breuvages à la disposition des barmans pour la préparation de leurs cocktails. SAPHYR se tourne alors vers la table derrière elle où une jeune femme, clairement pas habituée des lieux, sirote seule sa boisson en écoutant la musique. Lin-Huae s’attarde sur les froufrous et les manches amples de son haut blanc, avec sa peau claire et ses cheveux blonds, ce vêtement donnait un air angélique à cette cliente. De ce que Huae en voyait, elle n’avait pas spécialement l’air d’attendre quelqu’un, elle pianote sur son portable en s’arrêtant pour siroter la boisson dans son verre en en profitant pour jeter des regards à la ronde. De l’avis de Lin-Huae, plus pour tâter l’ambiance que pour trouver quelqu’un.
“Reena ? Ton verre est prêt.” Son collègue est revenu avec la boisson demandée par Lin-Huae, mais avant de la poser sur le comptoir, il voulait s’assurer qu’il n’allait pas se faire berner, il n’est pas né de la dernière pluie. “T’as des golds ?”
“Ouais ouais t’inquiètes, j’ai ma puce à gousset.” La jeune femme passe alors sa main sous la chemise qui est attachée à ses hanches pour y tirer de sa poche une sorte de chaîne dorée se terminant par une pastille métallique circulaire, finement ouvragée de mini-gravures dont chaque côté laisse un plat pour pouvoir la poser à l’horizontale. Elle passe l’étrange bijoux sur le boitier noir que lui tend son ami et un léger “bip” retenti dans le brouahaha de la pièce, et il n’en fallu pas plus à la chipie pour qu’elle se jette sur la boisson tant désirée et détourne son attention de son collègue en lâchant de brefs remerciements afin de revenir à la jeune femme solitaire aux froufrous.


Dans un élan de bonté, et une confiance en soi si propre à notre Singapourienne, Lin-Huae décida qu’elle ne devait pas passer la soirée toute seule à se morfondre, et se dirigea vers elle pour s’installer à sa table en retournant une chaise et s'asseyant à califourchon sur l'assise et les bras passant par dessus le dossier en faisant bien attention de ne pas renverser la précieuse boisson.
“Salut, je peux m’installer ? J’en ai pas pour longtemps.” La moindre des chose aurait été de demander en effet, chose que Lin-Huae finit par faire bien après avoir amorcé ses gestes qui lui ont permit de s'asseoir.
“Alors c’était bien ?” demanda t’elle à la jeune femme qui lui fait face.
“J’adore l’ambiance ici, c’est le feu, c’est calme comme dans un troquet de quartier mais en même temps ça bouge bien, il y a d’l’a musique pas trop mal et les gens jouent le jeu.”
Lin-Huae n’avait pas spécialement à coeur de faire de la pub pour son patron, mais elle se disait qu’il fallait bien lancer un sujet pour  amorcer une conversation et elle n’allait tout de même pas critiquer le bar où la jeune avait décidée de venir boire un verre alors qu’elle-même était actrice de l’ambiance qui régnait ce soir là.